Monday, June 14, 2010

Le combat ordinaire, t. 1 par Manu Larcenet

Le premier tome de la série Le combat ordinaire de Manu Larcenet c’est l’histoire du quotidien de Marco, mais aussi d’une certaine jeunesse du XXIe siècle. Marco, le personnage principal a quitté son emploi parce qu’il n’en pouvait plus de photographier « des cadavres exotiques ou des gens qui sont en passe de le devenir » et il a quitté la psychanalyse qui a porté ses fruits malgré un diagnostique de « comportements profondément obsessionnels accompagnés de névroses diverses, obsessionnelles elles aussi ».

Côté familial, tout va bien entre Marco et son frère qui s’appellent mutuellement Georges, d’après le film Des souris et des hommes dans lequel John Malkovitch disait : « J’aurai un petit lapin et je l’appellerai Georges, et je le garderai contre mon cœur. » Les deux partagent une complicité exemplaire répartie entre gros pétards, pizza et jeux vidéo. Une visite chez leurs parents nous apprend que le père de Marco, ancien combattant en Algérie, est malade et perd la mémoire, tandis que sa mère s’inquiète constamment et adore lui préparer le poulet qu’il aimait quand il était petit.

Dans sa maison de campagne, Marco tente de se remettre sur pieds en retrouvant le calme en compagnie de son chat Adolf. Par contre, une série de rencontres viennent ébranler sa tranquillité : un méchant voisin avec un horrible chien, une jolie vétérinaire nommée Émilie qui deviendra sa petite amie et Gilbert Mesribes un mystérieux vieil homme qui pêche le brochet, mais qui traîne de lourds secrets. Ce roman graphique en dit long sur le passage à l’âge adulte, les relations amoureuses, les chances que la vie nous incite à prendre, notre comportement vis-à-vis autrui, les premières apparences, et – bonus pour l’historienne en moi – un commentaire sur la guerre d’Algérie.

La rencontre de Marco et de Mesribes m’a rappelée que les archives officielles sur la guerre d’Algérie (1954-1962) restent encore de nos jours seulement partiellement disponibles et peu accessibles aux chercheurs. Ce n'est qu'en 2012 que les chercheurs français et algériens auront accès aux archives de toute la période de la guerre de libération nationale, alors qu'aujourd'hui, ils ne peuvent consulter les documents classifiés postérieurs à 1948. [1] À cet effet, l’historien de l’Algérie, Benjamin Stora estime que les hommes politiques français essaient de protéger des personnes impliquées dans les événements, notamment len ce qui concerne les documents « inconsultables » relatifs à l'emploi de la torture. Ouvrir les archives sur la guerre d’Algérie pourraient, « concerner des personnes toujours vivantes, que ce soient des officiers ou encore des hommes politiques ». [2] La fermeture des archives cache sans aucun doute une période lourde de l’histoire française dans l’espoir de protéger la vie « privée » de gens comme Mesribes.

Somme toute, cet album a non seulement la qualité d’être d’une beauté esthétique stupéfiante, il est imbu d’une sentimentalité discrète très émouvante. Il permet au lecteur de confronter ses sentiments, mais aussi de se retrouver un petit peu dans chaque personnage : que ce soit à travers la frustration d’Émilie, les crises d’angoisses de Marco, le passé secret de Gilbert Mesribes ou la jovialité de « Georges ».  Le combat ordinaire de Manu Larcenet (scénario et dessin) et Patrice Larcenet (couleur) a bien mérité le succès qu’il a connu en gagnant le prix du meilleur album, le fauve d’or, au festival international de la bande dessinée à Angoulême  en 2004. 


Éditions Dargaud
Épais et tordu, le site officiel de Manu Larcenet



[1] http://www.algeria-watch.org/fr/article/pol/france/nouvelle_loi_archives.htm
[2] http://www.france24.com/fr/20080505-projet-loi-archives-algerie-reconnaissance-setif-guelma-bajolet-stora-benjamin

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