Monday, May 24, 2010

Mourir partir revenir. Le jeu des hirondelles : par Zeina Abirached

Née en 1981 à Beyrouth Est au Liban, Zeina Abirached a vécu sur la ligne de démarcation qui divisait la ville en deux pendant la guerre civile. Son roman graphique Le jeu des hirondelles, publié en 2007 nous relate l’histoire de la vie dans l’immeuble où résidait sa famille et les quelques voisins qui refusaient de partir. L’idée d’écrire ce volume lui est venue en effectuant des recherches dans les archives de l’INA. Elle trouva un reportage de 1984 démontrant un petit groupe de Libanais qui avait choisi de demeurer dans un quartier dangereux malgré les bombardements incessants et le danger des francs-tireurs. Dans la vidéo, la grand-mère de Zeina Abirached dit au journaliste : « Vous savez, je pense qu’on est quand même, peut-être, plus ou moins en sécurité ici ».

Le Liban devint un mandat français après la Première guerre mondiale. Elle reçut son indépendance en 1943 et Beyrouth devint la capitale. La ville devint rapidement un centre intellectuel, économique, culturel et touristique pour le monde arabe. Malheureusement, cette effervescence du Liban ou plus précisément de Beyrouth se ternit à cause d’une guerre civile qui débuta en 1975 pour se terminer en 1990. La guerre a entraîné d’une part la division de la ville et d’une autre part le départ ainsi que la mort de plusieurs de ses habitants. À l’Ouest vivaient majoritairement des musulmans tandis qu’à l’Est la population pratiquait le christianisme. En 1982, l’armée israélienne attaqua la ville et la mis sous siège. La ville subsista une destruction sévère, d’ailleurs sa reconstruction persiste depuis 1990.

Dans Le jeu des hirondelles, l’auteure nous raconte une soirée passée dans l’entrée de l’appartement avec des proches dans l’attente du retour de ses parents. Ces derniers visitaient un membre de la famille qui habitait à quelques rues de leur résidence lorsque des bombardements les empêchèrent de retourner à la maison. Dès le départ, Abirached capte l’attention du lecteur grâce à ses merveilleuses illustrations de Beyrouth Est en 1984. Les illustrations permettent de comprendre et de ressentir le climat qui servira de fil conducteur tout au long de l’oeuvre. Grâce à quatre images, Abirached nous démontre ce qu’il aurait pris des dizaines de pages à écrire.La jeune Abirached et les personnages principaux se retrouvent dans l’entrée « plus ou moins sécuritaire » vue dans la vidéo. En attente du retour des parents d’Abirached, nous rencontrons les habitants résilients de l’immeuble qui se mettent à l'abri des obus dans l’entrée de l’appartement. Ensemble, ils vivent à la fois la détérioration de leurs conditions et le partage d’un espoir. Plusieurs détails de la vie de chacun sont explorés : la vie avant la guerre, les relations familiales et la vie de tous les jours. Les personnages du roman graphique ont tous perdu quelqu’un, soit à cause de l’immigration ou du décès ou quelque chose, à cause des privations occasionnées par la guerre. L’œuvre est ainsi ponctuée d’un sentiment d’angoisse ressentie par rapport à l’attente du retour des parents Abirached, du prochain bombardement ou de la perte de chacun. En contraste à ce sentiment, il est aussi possible d’entrevoir les moments de bonheur partagés par le groupe.

Les illustrations de Zeina Abirached dans Le jeu des hirondelles puisent leur force dans leur simplicité et dans les nombreux détails. La subtilité de l’œuvre laisse aisément transparaître les émotions et les relations humaines. À caractère autobiographique, l’œuvre témoigne d’une réalité complexe : celle de la vie pendant la guerre et de la menace constante. Par contre, les habitudes quotidiennes comme l’esprit d’entreprise de Chucri, le plaisir du bon whiskey apporté par Monsieur Khaled, l’arrosage des plantes chaque mercredi pour Ernest et le sfouf d’Anhala démontrent au lecteur que malgré la tragédie la vie continue.

Le style d’Abirached peut facilement nous faire penser à celui de Marjane Satrapi : deux femmes du Moyen-Orient avec un talent pour le noir sur blanc et qui illustre le thème de la guerre. Par contre, cette comparaison facile ne permet pas de tenir en compte de grandes différences et de la richesse de l’œuvre d’Abirached (ou de Satrapi). Les grandes différences se retrouvent dans le traitement : Satrapi nous offre une analyse très politique tandis que Abirached illustre l’intime et l’espace familial.

Le jeu des hirondelles est une œuvre exceptionnelle parce qu’elle nous raconte la violence d’un événement historique grotesque sans le faire de manière indécente. Somme tout, comme la vidéo de 1984 qui l’a inspiré, le roman graphique de Zeina Abirached expose l’ampleur de la dévastation de la guerre, le courage de l’humain et l’importance pour plusieurs de l’attachement à la patrie. Le jeu des hirondelles démontre l’ensemble de ces aspects, mais les insèrent dans contexte intimiste illustré merveilleusement.


Éditions Cambourakis

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